Le livre sur le disque: Richard Millet, Pierre Gervasoni et la musique contemporaine

L’étude s'appuie sur deux livres, l'un de Richard Millet , écrivain, l’autre de Pierre Gervasoni , critique spécialisé. Il s’agit, dans les deux cas, de recenser des disques de musique contemporaine, et donc de réunir et d’ordonner une pensée sur des objets disséminés, sous la forme d’un recueil de chroniques, genre encore très tacitement codifié. La question de la construction sociale des répertoires, abordée avec la critique commémorative de Debussy et celle de la danse contemporaine, y est encore présente. Ces deux textes nous permettent d'isoler les caractéristiques qui se rangent de part et d'autre des deux modalités d'une « variable » principale : discours littéraire versus discours expert. L'agencement littéraire est premier chez Millet. Il s’agit davantage de faire livre que de faire guide. Le centre de gravité de l’entreprise critique est l’écrivain lui-même, à travers l’expérience d’écoute qu’il donne en offrande à la musique contemporaine, laquelle, en échange, donne sa matière à la pensée de l’écrivain. Gervasoni nous livre, dans une autre systématicité, sa conception idéale de la critique : un discours expert qui mobilise des outils adaptés à la fois à la nature diversifiée de la musique contemporaine et à celle des auditeur.trice.s en général et de ses auditeur.trice.s en particulier. Le régime de présentation de la musique est fondé sur la contingence, y compris matérielle. Alors que Richard Millet délivre au.à la lecteur.trice les constituants d’un parcours personnel exemplaire, Pierre Gervasoni, orienté, quant à lui, vers l’auditeur.trice, établit une cartographie pratique de la musique contemporaine enregistrée. L’approche du technicien consiste à outiller l’écoute, celle de l’écrivain à construire une mystique de l’écoute.Aussi, les deux livres, à partir d’un projet similaire, sont traversés par des antagonismes systématiques, liés aux positionnements respectifs du critique-écrivain et du critique-technicien. Cette systématicité antagoniste valide la notion d’univers de sens que nous utilisons ...